La communication par signe à Maré (d’après M.-J. Dubois, 1984)

La communication par signe est spontanée dans toute société humaine, mais chacune a ses modalités propres. Sur l’île de Maré, la communication peut se faire par des signes naturels ou conventionnels, sonores ou gestuels.
Avant même l’arrivée de l’écriture, les Maréens utilisaient par exemple des plantes pour faire passer un message ou interprétaient la floraison d’une plante à une saison donnée pour accomplir le travail à faire à cette saison. Voici quelques signes naturels, sonores et gestuels.

La signification peut être naturelle :

 [brown]Kacapeu si eng[/brown] (lit. le [brown]kacapeu[/brown] fleurit) : la floraison, en juillet-août, d’une liane appelée [brown]kacapeu[/brown] (Clématis glycinoïdes , D.C., Renonculacées), ce qui veut dire « signe du débroussage », indique qu’il faut commencer le débroussage des champs.

 [brown]Uengo ci eng[/brown] (lit. le [brown]uengo[/brown] fleurit) : la floraison du [brown]uengo[/brown] (Dodonaea viscosa) annonce le début des labours des champs ; elle signale également l’arrivée des dawas en provenance de la Grande Terre.

 [brown]Yecenengo ci eng[/brown] : la floraison de la liane [brown]yecenengo[/brown] (Smilax purpurata) veut dire que les langoustes sont grainées.

 [brown]Guanashen[/brown], la nouvelle lune : pour les Maréens, lorsque la lune est dans la terre, c’est le moment de planter des tubercules (les fruits sont dans la terre) et quand c’est la pleine lune, [brown]ci uti kei cekol[/brown], c’est le moment de planter des arbres fruitiers (bananiers, canne à sucre, etc.)

 Un tremblement de terre, [brown]ci wowene[/brown], est le signe de la sécheresse [brown]hnarua[/brown] et de la famine [brown]dongo[/brown].


Quelques signes conventionnels :

 [brown]ci waped/wapedon[/brown] « siffler », pour appeler à une distance telle que la voix ne porte pas. On pouvait aussi siffler dans une flûte en roseau [brown]wekon[/brown].

 [brown]Ci are/areon[/brown] « faire un signe avec le bras » en le levant ou l’abaissant pour appeler quelqu’un ou pour signifier à des personnes de s’approcher ou de s’éloigner. Ce signe est aussi utilisé par celui qui commande les pêcheurs lors d’une grande pêche. Dans les chants et les récits, on se sert d’une branche de l’arbre [brown]are[/brown] « Premna integrifolia, L. Verbénacées » pour appeler. On se servait aussi à l’époque des santaliers pour faire des signes aux bateaux de passage sur l’île.

 [brown]Cebu[/brown] : c’est un endroit sur le bord du chemin, nettoyé par une personne généralement cerclé de pierres. La personne qui a fait ce [brown]cebu[/brown] y laisse des objets pour signaler son passage. À l’époque, le [brown]cebu[/brown] servait souvent aux rendez-vous amoureux : si un garçon laissait un ornement, il voyait bien quelle fille l’avait pris ; car il l’avait prévenu lors de leur dernier rendez-vous galant. Mais de nos jours, on trouve des [brown]cebu[/brown] de fleurs sur le bord de la route de l’île pour marquer l’endroit où il y a eu des accidents de voiture.

 [brown]Ae len[/brown] qui veut dire « pâté de chemin » : on dispose sur le bord du chemin des feuilles dont le nom spécifique en nengone commence par le même son que le nom propre de sa personne. Il s’agit d’un signe pour indiquer la direction que la personne a prise et cela sert aussi aux rendez-vous galants.

Depuis que les Maréens ont appris à écrire, les jeunes ont inventé un autre moyen de communiquer pour les rendez-vous galants. Ils se sont donné des « surnoms » (des noms différents de ce qu’ils ont en nengone ou en français) sans signification, suivis d’un nombre. Ils écrivent cela à coup de sabre d’abattis ou de hache en lettres majuscules et en chiffres romains sur les troncs de cocotier et les troncs d’arbre. Les filles ont souvent tendance à écrire sur les feuilles de fougère « langue de bœuf » [brown]shubegen[/brown] « Microsorium punctatum, Cop. Polypodiacées Filicinées ». Voici quelques exemples de ce qu’elles peuvent écrire : « bonjour à celui qui verra ça ; je suis à tel endroit, je pleure et je suis triste, etc. » ; celle qui a écrit signe avec son surnom et le garçon qui répond pour donner rendez-vous, signe à son tour avec son surnom en mélangeant les lettres et les chiffres avec le surnom de la fille.

De nos jours, les technologies ont tellement évolué que certaines pratiques de communication par signes ont été perdues ou ne sont plus d’actualité. Mais ces moyens d’antan conservent un charme désuet et présentent l’avantage d’être écologiques et « connectées » à la nature : il vous faut de solides connaissances botaniques pour choisir la plante dont l’initiale du nom coïncide avec celle de votre prénom.




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