La détermination
Observez les phrases suivantes : |
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Katy fait du baby-sitting.’ (elle garde des enfants en général) |
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Katy garde l’enfant (qui est connu). |
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Kati ci cumon ore ehna morow.
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Katy garde les enfants (qui sont connus). |
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En linguistique, on parle de référent pour désigner les entités (êtres ou choses) auxquelles renvoient les mots dans l’univers réel ou imaginaire. Dans les phrases qui précèdent, les référents du mot morow varient. En quoi consistent ces variations et par quels procédés sont elles exprimées ?
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Réponse |
On regroupe sous le terme de détermination les procédés linguistiques qui permettent, en partant d’une notion (par exemple,[brown] morow [/brown] ’enfant’), de spécifier, de réduire, d’élargir et de quantifier l’ensemble des occurrences auxquelles cette notion réfère dans l’univers réel ou imaginaire. Parcourons quelques exemples, à partir de la notion [brown]morow [/brown] ’enfant’ :
Mishel morow. |
Michel est un enfant. |
Dans l’exemple ci-dessus, [brown]morow[/brown], employé seul, ne renvoie à aucune occurrence d’enfant en particulier, mais exprime simplement la notion de manière qualitative, en fonction prédicative. La qualité « être enfant » est attribuée à Michel.
Morow thu eleda. |
Les enfants ont l’habitude de jouer. (c’est-à-dire, tous les enfants en général) |
Kati ci cumo morow. |
Katy fait du baby-sitting. (c’est-à-dire, elle garde un ou plusieurs enfants, la quantité n’étant pas explicitée) |
Dans les deux phrases qui précédent,[brown] morow[/brown], qui n’est toujours accompagné d’aucun déterminant, réfère à la classe des enfants de manière générale, tout ce qui est [brown]morow [/brown] ou n’importe quelle occurrence de[brown] morow[/brown], sans désigner un ou plusieurs individus particuliers.
Dans les phrases suivantes, en revanche, des déterminants ([brown]ore, ehna[/brown]) permettent de réduire l’extension des référents qui ont la qualité [brown]morow [/brown] en renvoyant tantôt à une occurrence singulière, tantôt à un sous ensemble d’occurrences de la notion.
Kati ci cumon ore morow. |
Kati garde l’enfant. (c’est-à-dire, un enfant singulier et connu) |
Kati ci cumo ehna morow. |
Kati garde des enfants. (c’est-à-dire, un sous-ensemble d’enfants, pas forcément connus) |
Dans ces leçons d’initiation, nous n’aborderons que les principaux déterminants. |
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Les déterminants ore et se
Observez les phrases suivantes : |
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Katy fait du baby-sitting.’ (elle garde des enfants en général) |
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Katy garde l’enfant (qui est connu). |
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Kati ci cumon o se morow.
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Katy garde un (autre)/l’autre enfant. |
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Kati ci cumon ore ehna morow.
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Katy garde les enfants (qui sont connus). |
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Kati ci cumon o se ehna morow.
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Katy garde les autres/d’autres enfants. |
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Quelles nuances apporte l’emploi de ore et de o se dans ces phrases ?
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Réponse |
• Nous désignons par X un mot ou un groupe de mots quelconques. Avec[brown] ore [/brown] X, le référent de X est connu des co-énonciateurs. [brown]Ore [/brown] ne porte pas en soi d’indication de nombre : il peut apparaître seul, et dans ce cas c’est la valeur du singulier qui est codée, mais il se combine aussi à des quantifieurs qui expriment le pluriel.
Ore morow hna reul hnei waered. |
L’enfant s’est brûlé avec une braise. |
Ore ehna morow hna reul hnei waered. |
Les enfants se sont brûlés avec une braise. |
Lorsque[brown] ore [/brown] accompagne un sujet postposé au prédicat, il est préfixé avec la marque sujet en [brown]k-[/brown] pour donner[brown] kore [/brown] (voir la leçon 12) :
Hna reul hnei waered kore morow. |
L’enfant s’est brûlé avec une braise. |
La séquence [brown]ore [/brown] X en fonction objet est toujours accompagnée d’un verbe à la forme déterminée (voir la leçon 14) :
Bone ci cumo morow. |
Il/elle fait du baby-sitting. |
Bone ci cumon ore morow. |
Il/elle garde l’enfant. |
• Le déterminant se indique la singularité qualitative (être d’une certaine nature et pas autrement) et l’altérité : [brown]se [/brown] X ’un certain X, un X qui se distingue des autres, un autre X, l’autre X’.
Nina ci t’aedrengi yawe o se era. |
Nina écoute encore un autre chant. |
De manière plus générale,[brown] se [/brown] X empêche l’identification d’une nouvelle occurrence de X à une occurrence précédente de X.
Se hmenew ci thaet ka se hmenew ci ruac. |
L’une des femmes dort pendant que l’autre (femme) travaille. |
Dans la phrase précédente, la séquence [brown]se hmenew[/brown] apparaît deux fois. Pourtant, les deux séquences réfèrent à deux femmes distinctes. L’emploi de[brown] se [/brown] empêche que la seconde femme soit identifiée à la première.
Avec[brown] se [/brown] X, sans indication explicite de quantité, c’est le singulier qui est codé, mais des quantifieurs peuvent être ajoutés pour exprimer le pluriel : [brown]se ta[/brown] X ’certains X, d’autres X, les autres X’.
Nina ci t’aedrengi yawe o se ta era. |
Nina écoute encore d’autres chants. |
En fonction objet, [brown]se [/brown] est précédé de l’article[brown] o : o se[/brown] X, [brown]o se ta[/brown] X, [brown]o se ehna[/brown] X, etc. L’objet introduit par [brown]o se[/brown] est accompagné de la forme déterminée du verbe.
Bone ci cumon o se morow. |
Il/elle garde l’un des enfants. |
En fonction sujet postposé,[brown] o se[/brown] est préfixé avec la marque sujet [brown]k-[/brown] et donne [brown]ko se[/brown].
Hna p’ina ko se ngom. |
Quelqu’un est arrivé. |
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Les quantifieurs
On peut dire [brown]ehna morow [/brown] ‘les enfants’, [brown]ehna cahman[/brown] ‘les hommes’ ou [brown]ehna pailai[/brown] ‘les chiens’, mais on ne dit pas *[brown]so morow, *so cahman[/brown] ou *[brown]so pailai[/brown].
Réciproquement, on peut dire[brown] so ete[/brown] ‘les pierres’, so ruac ‘les travaux’ ou [brown]so len[/brown] ‘les routes’, mais on ne dit pas [brown]*ehna ete, *ehna ruac[/brown] ou *[brown]ehna len[/brown]. |
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Comment expliquez-vous cette différence de compatibilité entre ehna et so ?
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Réponse |
• [brown]Ehna [/brown] indique le pluriel pour les êtres animés (les humains, les animaux), à l’exclusion des entités inanimées telles que les objets, les arbres, etc.
[brown]ehna morow[/brown] ’les enfants’
[brown]ehna titew[/brown] ’les poules’
[brown]ehna wai[/brown] ’les poissons’
mais *[brown]ehna len[/brown] est impossible pour traduire ’les routes’
• [brown]So [/brown] exprime aussi le pluriel, mais cette fois pour les entités inanimées.
[brown]so len[/brown] ’les routes’
[brown]so ruac[/brown] ’les travaux’
[brown]so ete[/brown] ’les cailloux, les pierres’
On utilisera [brown]so[/brown] pour les animaux morts. Comparez :
Akakani lo ore ehna titew. |
Donne à manger aux poules. |
Ajoni lu ore so titew. |
Cuits les poulets. |
D’autres déterminants comme [brown]ehna[/brown] ou [brown]so[/brown] apportent des indications quantitatives, associées parfois à des nuances sémantiques particulières. Nous les appelons des quantifieurs.
• La séquence NUMERAL [brown]ko[/brown] X exprime un quantité précise. Il s’agit en fait d’une proposition où le numéral ([brown]sa [/brown] ’un’,[brown] rewe [/brown] ’deux’, [brown]tini [/brown] ’trois’, etc.) occupe la fonction prédicative et X est en fonction sujet : [brown]sa ko[/brown] X, ’un X’, [brown]rewe ko[/brown] X ’deux X’, [brown]tini ko[/brown] X ’trois X’, etc.
Bone hna it’icon sa ko waud ka inu hna it’icon tini ko wanu. |
Il a acheté un taro et j’ai acheté trois cocos. |
Plus particulièrement, [brown]sa ko[/brown] X exprime la singularité quantitative (être un et pas davantage) et il convient de le distinguer de[brown] se [/brown] X (voir plus haut). Ainsi la séquence ’Une personne est venue’ se traduira de deux façons différentes selon la nuance qui l’emporte :
Hna p’ina ko se ngom. |
Une personne (dont on n’a pas encore parlée) est venue. |
Hna p’ina sa ko ngom. |
Une personne (une seule et pas davantage) est venue. |
En fonction sujet postposé, il n’y a pas de marque sujet devant NUMERAL [brown]ko[/brown] X :
Sa ko ngom hna t’ango. |
Une (seule) personne est morte. |
Hna t’ango sa ko ngom. |
Une (seule) personne est morte. |
• [brown]Ta[/brown] X désigne un sous-ensemble de X comparativement à d’autres sous-ensembles. La valeur de comparaison ressort implicitement de l’emploi de [brown]ta[/brown], surtout si le groupe désigné est associé à une propriété distinctive. [brown]Ta [/brown] s’emploie aussi bien avec les êtres animées que les entités inanimées.
Ta si Nengone thu ruac. |
Les gens de Maré sont travailleurs. (sous-entendu, ceux des autres îles ne sont pas aussi travailleurs qu’eux.) |
Buic ci eran ore ta lan me k’ariroi. |
Ils chantent les belles mélodies. (sous-entendu, ils ne chantent pas celles qui sont moins jolies) |
Ome ta eleda ni moc’enew. |
Ceux-ci sont des jeux de fille. (sous-entendu, et pas de garçon) |
• [brown]Nodei[/brown] X réfère à l’extension de la classe des X, c’est-à-dire, à toutes les occurrences de X, mais avec une marge possible d’exceptions.
Ore nodei waia ha ded. |
(Tous) les oiseaux se sont envolés. |
Pour sélectionner toutes les occurrences sans aucune exception, on ajoute [brown]ileoden [/brown] :[brown] nodei X ileoden [/brown] ou [brown]ileoden ore nodei [/brown] X ’tous les X sans exception’.
Ileoden ore nodei waia ha ded. |
Tous les oiseaux sans exception se sont envolés. |
De manière plus générale, [brown]ileoden [/brown] permet d’exprimer la totalisation :
Ehnij hna kodraruon ileoden ore gato. |
Nous avons mangé tout le gâteau. |
Ehnij hna kodraruon ileoden ore so gato. |
Nous avons mangé tous les gâteaux. |
• [brown]Rue[/brown], qui vient de [brown]rewe [/brown] ’deux’, exprime le duel, la paire ou le couple :
Rue mohma ci nengoc du rue Riko. |
Les deux vieux parlent à Riko et son épouse. |
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En savoir plus
• En nengone, l’opposition défini/indéfini, d’une part, et l’indication du nombre, d’autre part, sont codées par des mots différents. Par exemple, le couple[brown] ore/se[/brown] correspond grosso modo à l’expression de la définitude : [brown]ore[/brown] X ‘le X’ / [brown]se [/brown] X ‘un (autre) X’ ; et l’on peut ajouter à cette première détermination une indication du nombre : [brown]ore ehna[/brown] X ‘les X’ / [brown]se ehna[/brown] X ‘d’autres X’. En français, en revanche, les articles combinent l’indication à la fois de la définitude et du nombre. On dira de[brown] le [/brown] qu’il est un article à la fois défini et singulier, par opposition à [brown]les [/brown] qui est défini et pluriel, à [brown]un [/brown] qui est indéfini et singulier et à [brown]des [/brown] qui est indéfini et pluriel.
• On trouve dans l’emploi de [brown]a/an[/brown] et [brown]one [/brown] en anglais une nuance équivalente à celle qui existe entre [brown]se [/brown] X et [brown]sa ko[/brown] X en nengone. Observez les phrases suivantes :
A student came to see me about my course. ‘Un étudiant est venu me voir à propos de mon cours.’
One student came to my course. ‘Un seul étudiant est venu à mon cours.’
On revanche, on dira difficilement *A student came to my course.
La première phrase (avec l’article[brown] a[/brown]) sera traduite en nengone avec[brown] se[/brown], la seconde (avec le cardinal [brown]one[/brown]) avec [brown]sa ko[/brown] X. |
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